jeudi 4 février 2016

Vivre



Le ciel est presque limpide ce matin. On pourrait croire que ses idées se sont métamorphosées en ciel bleu. Sur la rivière protégée par une berge au tapis d'herbe fraîche, il avance, confiant sur la petite barque de fortune qu'il s'est construite.
Galio a tout abandonné ce matin. Son appartement, son travail, son vieux scooter et sa prison de peurs tenaces. Une idée folle, une idée qui a pris le temps ni des jours ni des mois qui passent. Un besoin d'oxygène, de plus de vie, d'essentiel.
Dans la forêt voisine un papillon lune s'ennuie. Ses activités nocturnes ne l'amusent plus. Attiré par la lumière, il s'envole en robe vert émeraude. Le printemps l'attire immanquablement.
Bientôt, il se pose sur la petite barque de Galio, puis sur sa main tenant les rames. Galio ne perçoit pas tout de suite la caresse des pattes de l'insecte aventurier. Alors il débarque sur son nez. Ça chatouille, mais ce n'est pas désagréable. Au contraire c'est enivrant. Et puis la bouche de l'homme au goût de miel de lavande l'attire à ce point qu'il finit par y entrer. Voilà l'insecte avalé.
Galio n'a pas lutté. Le papillon s'est lové sur son oreillette gauche. Les battements du cœur de Galio le bercent, de là il prend la mesure de la beauté intérieure de l'homme. Dans son cœur, il sonde des pensées en forme de poèmes, des souffrances tatouées, des désespoirs livides et des audaces impertinentes. Un peu plus bas, du côté des ventricules, le muscle sous ses pattes est d'une douc
eur infinie. Il y perçoit immédiatement un amour aux yeux verts et pétillants. 
Galio n'a jamais autant incarné son désir. Finie cette demie-vie de presque rien, finis les mensonges qui rongent, fini le goût amer que laissent les mots qui écrasent. Cette barque le mène exactement là où il souhaite se rendre. Sur la rive un cycliste le salue, derrière le vélo un setter court à pleines pattes. Galio est impatient mais il prend le temps de savourer. Sur son visage, une petite brise comme une caresse lui rappelle qu'il est grand temps de vivre. Son esprit est une montgolfière rouge cerise bercée par le vent du matin. Le papillon lune s'était assoupi. Réveillé par les aboiements du chien il réalise qu'il est l'hôte le plus chanceux du monde. Il n'a pas envie de quitter ce cœur chaud et plein de fantaisie. Il s'y sent rassuré dans une obscurité lumineuse et bienfaisante. Soudain une vibration, un tressaillement. Le cœur de Galio se met à battre très fort et très vite. Asaé le papillon a l'impression d'être sur un trampoline. Il rebondit tellement qu'il se met à rire. Il ferme les yeux pour ressentir la joyeuse secousse, ses ailes se déploient jusqu'à habiter complètement la poitrine de Galio.
La barque est sur la berge, vide. Galio s'est assis sur un banc un peu loin. Il ferme les yeux, respire profondément, imaginant déjà l'instant délicieux qu'il va vivre.
Elle n'est plus qu'à quelques mètres, le pas léger elle s'apprête à retrouver l'homme qu'elle aime.
Asaé se blottit contre le cœur de Galio, il sent peu à peu l'apaisement et la douce vibration du trampoline. Leurs regards se sont croisés. Elle avance vers lui doucement, ils voudraient faire de ce moment un éternel éphémère. Ils savent que leurs retrouvailles finiront par perforer la nuit de leur sublime évidence.
Sans mot dire ils se donnent un baiser comme on embrase les secondes impatientes. Des larmes leur brillent aux paupières. Galio serre très fort l'amour de sa vie.
C'est alors qu'un papillon magnifique vient se poser sur l'épaule gauche de la jeune femme bouleversée.


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