mardi 20 janvier 2015

Juste là

Camille n'a plus peur de rien. Camille n'est plus la même, elle le sait, elle le sent. 
Tout à l'heure, dans les allées de la librairie, elle s'est sentie complètement absente, comme aspirée par une bulle d'air en suspension. Une bulle d'air qui ne saurait pas où  terminer sa course puisque soumise aux caprices du vent. 
Portée par ce flot étrange, Camille a parcouru les rayons avec le regard absent et le coeur exilé. 
Titres, photos, lettres colorées, sourires affichés, prix soldés : monde étrange, reflets d'autres vies dans d'autres ailleurs. Vertige sidéral d'un coeur écorché par l'étrangeté du monde.
Dehors, la ville bruyante et le froid crépusculaire ont fait exploser la bulle. 
Les pieds posés sur le sol mouillé, Camille a marché longtemps, sans savoir où, ignorant totalement quelle force étrange la poussait si loin,  au point de rendre ses pas lourds et extrêmement douloureux, comme des aiguilles plantées dans les talons. 
Mais elle est arrivée là, au pied du grand immeuble de verre. 
Elle s'est assise en bas de l'escalier et les pensées assassines ont retrouvé le chemin de ses fangeuses pulsions. C'était l'heure. Il n'y avait pas d'alternative: c'était l'heure de l'insoumission, de l'insulte suprême et inouïe au chaos intérieur. 
Elle s'est recroquevillée, son front contre ses genoux et elle a cherché un peu de chaleur. Juste le nécessaire pour que de la vie coule encore dans ses veines gelées par l'amertume. 
Et elle a hurlé, d'un cri si puissant que l'écho infernal s'est fracassé sur le bitume. Personne n'était là pour constater. Personne n'a vu l'amplitude du combat. 
Personne n'a vu la trajectoire perverse de la lame plantée dans son ventre  de presque morte. 
Personne, sauf le petit chat de la concierge posté devant le corps livide et usé par une vie labyrinthique.

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